7/31/2010

FM BELFAST live @ Nouveau Casino - Clap your hand and say YéYé !

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FM BELFAST @ Nouveau Casino, Paris - 21/07/2010 - Clap your hand and say YéYé !



Tirés à quatre épingles, les yéyés de FM Belfast sont de passage à Paris pour une unique date au Nouveau Casino. Uniforme de rigueur, entre lunettes vintage, bretelles assorties et nœuds papillon il fallait choisir son camp.

Après un premier album How To Make Friends (2008) et deux singles sortis sur le label World Champion Records, FM Belfast précède en première partie de soirée le groupe d’électro pop nantais Minitel Rose. Malgré tout, le combo islandais s’est largement imposé grâce à ses rythmes et loops convulsifs, violents et dansants. Accompagnés d’un percussionniste pour l’occasion, le combo prit place avec un avantage numérique majeur. Sous les cris exigus des fans les lumières se tamisent et seuls de perceptibles sons semblent s’extirper d’un mac immaculé. Les trois chanteurs aux noms quasi imprononçables (Lóa Hlín, Árni Rúnar et Árni Vilhjálmsson, ndlr) se sont ainsi accordés sur un motto favori commun : « Fuck You !». Majeur en l’air, ils lancent amicalement leur reprise, cachée sous le nom de Lotus, de Killing In The Name Of de Rage Against The Machine. Face à un public docile à souhaits et en quête perpétuel de changement, le chanteur Árni Rúnar requiert un « Get down » général . Mouvement en vogue et on ne peut plus rock, il est devenu le moment incontournable de tous les bons concerts électro parisien. La foule s’exécute ainsi avant de sautiller de nouveau sur leur reprise de Pump Up The Jam.

Disposant d’un atout majeur, leur percussionniste additionnel peu subtile mais étonnamment polyvalent, est le digne héritier de Keith Flint (chanteur, danseur de The Prodigy, ndlr) et ses danses extravagantes. A la limite de la bizarrerie, la foule se laisse distraire puis charmer par ses déambulements sans complexe et, par contamination, commence elle aussi a se trémousser dans tous les sens. Le groupe enchaine ensuite avec ses morceaux les plus lancinants et entêtants Synthia et Tropical, dont les sons excentriques ne sont pas sans rappeler les années cultes de la dance made in 90‘s. Esprits et jambes en transe s’allient dès lors dans un mouvement compulsif pour secouer les âmes fébriles de l’audience parisienne. Sous les coups de 21h, l’heure n’est plus à la « sex tape » mais à VHS. En effet, tout aussi puissant et sensuel, les beats délicieusement langoureux de ce titre donnent à eux seuls l’envie irrépressible de jouer sans autre option possible. Les corps s’entrechoquent, l’humeur est badine et la température assez haute pour réveiller les derniers réfractaires.

« Un dernier morceau et puis s’en vont » se transforme subitement en « un dernier morceau juste en caleçon» avec une interprétation atypique de leur titre Underwear. Stripteases impromptus et inopinés, c’est en short flashy que les cinq membres présents quittent la scène. Euphorie générale dû au manque incontestable, la foule perd haleine et se met à scander joyeusement l’air de Par Avion. Pour une fois elle ne s’y trompe pas. Le Rappel est immédiat et la dose d’électro se veut plus vive et intense. Comblée, la foule découvre enfin le titre Par Avion en live. Décadence générale, trêve de plaisanterie, la timidité est rancardée et toutes les barrières explosent. Le show touche à sa fin, et c’est sur de multiples impros que le groupe cède sa place.

Entre déhanchements pop comiques et voix cosmiques, l’Islande serait-elle devenue une source inépuisable d’étrangeté extraordinaire musicale ? Connu pour sa sublime chanteuse mystique et mythique Björk, il semblerait qu’une nouvelle troupe d’élites se soit établie sous les traits de ce quatuor de choc. Vérité absolue ou simple hypothèse diagnostique, FM Belfast ranime la jovialité, dévie le sens commun et déjante nos corps pour le bonheur de tout un chacun.

Par C. R.

Remerciements : Phil A., N., Patrice Mancino.


Official Websites :

http://www.fmbelfast.com/

http://www.myspace.com/minitelrose

Review Soirée Custom juillet 2010 - Let's Dance.

C’est dans le cadre insolite du festival Colors au Nouveau Casino que les Inrocks nous accueillaient ce mois-ci pour leur très populaire soirée Custom. Délit d’initiés, rencontres incontournables pour les prosélytes, elle fait partie de ces moments privilégiés parisiens que l’on attend avec impatience.

Custom de juillet

Et entre la pop électrique de Dansette Junior, l’indé californienne des Morning Benders et le rock vivifiant de Kill The Young, la soirée promettait d’ores et déjà d’être un melting pot haut en couleurs du rock dans son plus simple appareil.

Le ton fut lancé sous les coups de 20h par les sémillants Anglais de Dansette Junior. Will, Johnny et Graham se lancent ainsi sans honte dans une course effrénée à la conquête du public. Tel le Saint Graal, cette aventure s’avérait tout aussi tordue et irréalisable, les chances de succès avoisinant zéro. En effet, la salle à moitié vide, composée essentiellement d’une foule timorée et agar, n’était guère en faveur de nos petits londoniens. Malgré les encouragements et l’entrain du jeune Will, le public fondait littéralement sous la pression de la chaleur et tardait à se mettre en mouvement. Mais loin de se laisser décourager, le groupe finit par abattre sa meilleure carte sous les beats entêtants de leur nouveau single Paranoïd. La fusion fut quasi instantanée. Poursuivant leur set avec The Chase, les midinettes ont dès lors commencé à se déhancher, les preppy boys hochant la tête et en langage parisien ceci est toujours signe avant-coureur de succès. L’assemblée enfin conquise semblait mieux appréhender les sons dubstep du trio. Quittant la scène sur le très puissant Fighting Fire, Will sautilla et rejoignit la fosse en dansant. Moment cultissime ! Concluant sur Are You With Me, il était d’une évidence déconcertante et unanime que le groupe avait bel et bien été adopté. Il ne leur manque plus qu’une diffusion dans un TV Show pour que Dansette Junior rejoigne le club très fermé et hype de l‘électro.

Le temps d’un changement de plateau et d’un regard furtif aux alentours et hop la salle était pratiquement bondée ! Les fans agglutinés au premier rang composaient avec le reste des spectateurs qui se lançaient dans des tentatives désespérées pour accéder au bar. Malheureusement, la conjoncture n’était pas vraiment propice et ils se sont retrouvés piégés dans une attente insupportable au vu des températures. Mais les californiens de The Morning Benders n’ont pas vraiment laissé le temps au public de se désaltérer. Forts de leur nouvel album, Big Echo, produit par le bassiste du groupe de rock expérimental Grizzly Bear Chris Taylor, le groupe entamait ainsi un set presque entièrement dédié à la promotion de ce nouvel opus. Hormis une reprise du titre Dreams de Fleetwood Mac, très semblable à celle de The Corrs, et une assemblée « groupiesque » quelque peu hystérique, le ton semblait morne et ennuyeux. Non pas que le groupe soit inintéressant mais la pléiade d’instruments utilisés sur l’album faisait cruellement défaut en live. Toutes leurs compos perdaient alors en intensité et cela s’est fait fortement ressentir sur leur dernier titre Excuses.

Effet papillon ou simple coïncidence, la moitié de l’audience s’était faite la malle avant Kill The Young. Heureusement, le groupe mancunien composé des audacieux frères Gorman ne s’est pas laissé abattre. Presque considérés comme des revenants, leur dernier album Proud Sponsors Of Boredom datant de 2007, l’heure était à la contemplation de l’instant X. Car oui, il n’y a rien de plus X que l’attitude rock et l’énergie débordante qui se dégage de ce trio. Habité et inspiré, il semblait que l’âme de Billy Corgan (Smashing Pumpkins, ndlr) s’était immiscée dans le corps frêle de Tom Gorman. Grunge à souhait, le groupe enchaine les titres et les tubes de leur deux opus.

Ainsi défilaient en premier lieu l’électrisant Skin And Bones et le cinglant Fragile. Malgré un ingé-son peu fiable et son proche du garage, le groupe s’en sortit avec les honneurs. Se démenant de tous leurs êtres, ne faisant qu’un avec le public, leur vitalité était irrésistiblement dévastatrice et contagieuse. L’avènement fut total sur Origin Of Illness. Toute personne présente dans la salle connaissait les moindres paroles de ce tire Ô combien planant. Force était de constater l’ampleur de ce morceau qui est, sans exagération, l’une de leurs meilleures compos. Remerciant avec une émouvante sincérité les fans, les frères poursuivirent leur set en Encore avec un All By Myself sublime, et divinement exaltant.

La soirée se termina ainsi sur les notes singulières de ce trio hors norme. Avoir fait ses armes aux côtés des plus grands (ndlr : Depeche Mode, Placebo, Kaiser Chiefs …) a sans conteste contribué à l’excellence des prestations scéniques de Kill The Young. Moment inoubliable, il ne reste plus qu’à attendre la prochaine soirée des Inrocks. De toute évidence, la rentrée s’annonce plus qu’alléchante puisque les américains de The Like et leur puissant rock alternatif ont été annoncé pour la Custom d‘octobre. Encore une fois, le mixe astucieux d’étrangeté et de découvertes permet à la Custom de garder son statut de soirée favorite car elle a toujours ce « je ne sais quoi » qui donne envie d’y revenir.


Par C. R.

Remerciements : Fred Tronel, N.

Official Websites :

Kill the Young : http://www.killtheyoung.com/
Dansette Junior : http://www.myspace.com/dansettejunior
Morning Benders : http://www.themorningbenders.com/


Rock Dans Tous Ses Etats 2010 – Et si le rock m’était conté ?

La période estivale semble inconditionnellement liée à toute une série de manifestations artistiques et les festivaliers n’ont qu’à bien se tenir.

Entre la pluie de festivals européens comme Reading, Benicassim, Rock Am Ring ou le tout récent Sonisphere ; et l’avalanche de festivals français comme le Hellfest, Solidays, Les Eurockéennes ou encore Rock En Seine, le choix est suffisamment vaste et hétéroclite pour correspondre aux goûts les plus éclectiques.

Fêtant son 27e anniversaire cette année, l’édition 2010 du Rock Dans Tous Ses États (RDTSE, ndlr) en a surpris plus d’un par une sélection pointue et originale d’artistes francophones et étrangers. Événement fondé en 1983, l’immense hippodrome d’Évreux attire tous les ans des dizaines de milliers de personnes en quête perpétuelle d’étonnement et de découvertes. Privilégiant les nouveautés et la singularité des artistes, l’alternance des mouvements rock, électro et pop fait la part belle dans la programmation qui se fait toujours plus surprenantes au fils des années.

Le festival a déjà accueilli par le passé des têtes d’affiche remarquables telles que les extravagants précurseurs du rock alternatif, Sonic Youth, les indés écossais de Franz Ferdinand ou encore l’extravagante et provocante Beth Ditto et son groupe d’indie-rock acidulé The Gossip. Si la présence d’artistes emblématiques est primordiale à la survie et à la renommée d’un festival, cela n’empêche pas le RDTSE d’allier coup marketing sûr et découvertes impromptues. Ainsi, les scènes de l’hippodrome ont fait place à la fibre pop féérique des Blonde Redhead, à l’électro tonitruante des DJs de South Central, ainsi qu’au post-rock divinement dévastateur de 65daysofstatic.

Véritable déluge musical, la cuvée 2010 promettait d’ores et déjà d’être excellente.
S’axant sur deux journées, près de 17.000 personnes ont profité de cette alternative au quotidien pour exulter en toute tranquillité. Fervent défenseur de l’écologie et autoproclamé Eco-Event, la contribution de tout-un-chacun était nécessaire, quant aux profanes, ils pouvaient toujours se racheter une éducation en entre les stands WWF, leur quote-part de verres consignés et pourquoi pas participer à l’économie de la région en s’octroyant un petit détour par la Rock Farm et ses alléchants produits Bio.

Le buzz tournait cette année autour de la fameuse « Gonzomobile », ex « Papamobile », qui a fait frémir d’impatience et de joie les cœurs d’un public averti. Sphère d’expérimentation digne de la Zone 51, que les ufologues se calment tout de suite nous parlons bel et bien ici d’un rassemblement d’ovnis musicaux ! Entre un show résolument rock et décoiffant des Israéliens au style hawaïen de Monotonix, un concert électrique et déstabilisant du groupe de dance-punk Bang! Bang! Eche!, des prestations enivrantes des baby rockeurs français de No Records, et une déferlante rock-funk magistrale de The Other Xperience (OXP, NDLR), la foule ressortait galvanisée de ce territoire classé X.

Au-delà de cette aire hors du temps se situaient les deux scènes principales du festival, où la tendance électro-rock se faisait bien plus présente. Avec en ouverture le vendredi mon coup de cœur perso, le groupe détonant d’électro-progressive d’origine niçoise : Quadricolor. Leurs rythmes virevoltants, agréables mixes de pop sucrée à l’instar d’Antidotes des Foals ou encore de l’album éponyme des Friendly Fires, a savamment su réveiller les corps affaiblis par la chaleur et transporter tout ce petit monde dans une dimension festive. S’ensuivait le trio belge, Triggerfinger, dont le blues-rock a su rassembler des escadrons de festivaliers dispersés. Mais la surprise resta de taille lorsque la voix subtile et douce de Lisa Elle de Dark Horses a retenti au travers de l’hippodrome. Il n’y a un je ne sais quoi de Bat For Lashes associé à The Cranberries qui rend ce groupe totalement ahurissant.

Apaisement ou remise de peine provisoire, Jeff Lang a littéralement amené le public dans son univers folk à l’américaine. Pur moment de rafraichissement et de paix intérieure dans cette région étrangement caniculaire, jamais le blues et le folk ne se seront aussi bien mariés. Instant dont il fallait absolument se délecter avant d’être happé sans ménagement par les percussions urbaines irrésistibles des Tambours Du Bronx. Fidèles et sincères, ces 16 musiciens ont humblement présenté leur tout nouveau set à un public on ne peut plus réceptif et fier de voir des artistes français générer autant d’enthousiasme et d’excitation en eux. Après un long set additionné d’un petit rappel (événement relativement rare en festival, NDLR), ce sont de nouveau les Belges qui ont créé la sensation. Groupe de garage authentique, The Black Box Revelation, dont la voix et le lyrisme du chanteur Jan Paternoster marquent au fer rouge, ont survolté les troupes. Incursion directe dans l’univers cru du rock’n’roll, ce duo a véritablement tout pour réussir, leur meilleur atout étant leur nouvel album Silver Threat sorti en février dernier.

Un festival ne serait pas sans sa traditionnelle tête d’affiche, mais faut-il encore que cettedite « tête d’affiche » soit fiable… Car que seraient les Babyshambles sans Pete Doherty ? Probablement pas grand-chose. Son génie est atypique certes, mais ce n’est certainement pas dans cette formation qu’il déploie le plus large panel de ses multiples dons. C’est donc sans circonspection que les teenagers évacuent la Gonzomobile, privant ainsi les Bang ! Bang ! Eche ! d’un moment légitime de gloire, et se ruent devant la scène principale dans l’infime espoir de voir le groupe quelques instants avant leur prestation. Prestation qui en dehors d’un crowd surf magistral de Pete D., n’avait somme toute rien d’exceptionnelle. Les morceaux sont fades et délavés et même s’ils sont joués par d’excellents musiciens, ils n’en restent pas moins insipides. Le groupe semble inexorablement s’essouffler. Heureusement pour nous, l’extravagant punk Mike Muir vient vivifier l’air ambiant avec son side project : Infectious Grooves. C’est sous les beats et guitares funk-métal du groupe qu’un circle pit se forme au sein d’un public qui rêvait d’avoir enfin l’autorisation de s’invectiver un peu. Malheureusement, cette exaltation ne fut que de courte durée puisque la pop lascive, passablement abominable en live des Pony Pony Run Run, amena nos esprits dans une nébuleuse frivole, sorte de spleen grossier. La synthpop ne serait-elle faite que pour être écoutée sur CD ?

Après avoir passé près d’une heure à badiner, Monotonix s’avéra être la dose d’adrénaline dont l’assemblée avait besoin à juste titre. Performance incontestable du groupe, la fin de soirée s’annonçait déjà plus attrayante et c’est au son des guitares rutilantes des frenchies de Jamaica, ex-membres de Poney Poney, que le show prenait enfin place en ces lieux de nouveau sous les grâces de Dieu. French touch délurée et savoureuse, les compos du groupe n’ont rien à envier à leurs comparses de PPRR, et c’est en véritables showmen, quoi que leurs mouvements bizarroïdes évoquent sans conteste le style Air Guitar, qu’ils font jumper l’audience. Privilège identitaire ou hommage ultime à l’électro-house française, c’est sous le pseudonyme de Danger que Franck Rivoire clôturait cette première journée de concerts aux rythmes singuliers de ses synthétiseurs. Caché dans la pénombre et accompagné d’un VJ, le spectacle était tant visuel que musical.

Cette première journée riche en émotions laissait désormais peu de chances aux artistes du lendemain de créer l’événement. C’était sans compter la kyrielle de talents présents en cette deuxième journée. Malgré une canicule des plus insupportables et une force physique qui tendait à la réserve, les festivités sont ouvertes avec The Patriotic Sunday. Groupe d’origine nantaise, ils défraient les chroniques grâce à un rock époustouflant et synchronique. Même si l’innovation n’est pas leur principal atout, il n’en reste pas moins que la tâche s’avérait lourde : réanimer un public avachi sous la pression de la chaleur en début d’après-midi relevait simplement de l’impossible. Le relai se poursuivait donc par passage de témoin aux Lillois de Tv Glory. Pop-Rock vivifiante et délicieusement rafraichissante il s’en fallait finalement de peu pour réactiver l’instinct festif et jovial des festivaliers, mais c’est vraisemblablement sur les airs de Vismets et de leur dernier opus Gürü Voodoo (sorti le 17 mai 2010, NDLR) que le public a diamétralement changé d’approche. Plus vif et débordant d’énergie, il accompagnait cette fois-ci le groupe sur chacun de ses morceaux. Entre des mines béates et satisfaites, le changement était plus que perceptible. Et que tous ceux qui s’étaient égarés à la Gonzomobile pour revoir gracieusement No Records se rassurent, les membres de Vismets seront de nouveau présents un peu partout en France et en Belgique à partir de juillet à l’occasion d’une mini tournée.

C’est à ce moment précis que l’ambiance s’est métamorphosée. La pop psychédélique de Caribou a fait souffler un vent de renouveau sur le Festival. Qu’il soit dans ses habits de prof de maths ou sous son autre pseudonyme Manitoba, Daniel V. Snaith dégage une aura bien particulière sur scène. Odyssée mélodique entre l’électroclash de Fischerspooner et l’indie de The Faint, il possède toutes les cartes en main pour effectuer un royal flush flamboyant. Suivi par l’indie-rock agitée des insaisissables membres de The Phantom Band, c’est pourtant ce qui allait suivre qui faisait l’objet de toutes les attentes.

Incarnation vivante de toute la Génération X et de sa descendance, Troy Von Balthazar et son groupe mythique Chokebore, avait fait le déplacement jusqu’en France pour faire redécouvrir la vitalité primale du rock alternatif. Ayant fait leurs preuves aux côtés de Nirvana et des Smashing Pumpkins, l’incompréhension est de taille au sujet du peu de notoriété de ce groupe. Entre une voix presque aussi singulière que celle de Billie Corgan, des guitares grandioses et acérées, et la délivrance de nouvelles compos, comment ne pas succomber avec volupté et se laisser guider vers d’autres sphères ? C’était donc sans négociations possibles, qu’un Encore se devait d’être exigé. Coïncidence heureuse, une avance sur le planning permet à Chokebore de partager un nouveau moment solennel avec son public pour un nouveau titre en exclusivité.

Après cet intime moment de frugalité, il paraissait bien difficile de redescendre sur Terre. Mais que serait le RDTSE sans ces purs instants de convivialité ? Des moments grâce auxquels toutes les générations confondues peuvent chantonner sur les ballades acoustiques de Renan Luce telles que Les Voisines, La Lettre ou son dernier single Nantes, ou encore se dandiner sur le rock énervé de The Jim Jones Revue. Et aussi surprenant soit-il, cela faisait un bien fou de pouvoir danser, d’autant plus que toute dose de cyanure avait été au préalable prohibée. L’heure des réjouissances se transforma cependant rapidement en minutes de blues rock intensives avec une prestation louable du duo américain de The Black Keys.

Mais comme la veille, Mike Muir a tout simplement retourné le festival avec sa formation initiale : Suicidal Tendencies et ses quatre autres membres mythiques et aux combien épiques. Ce soir-là, le punk-hardcore a définitivement été remis à l’ordre du jour, car en provenance du circle pit, d’où l’on pouvait entendre ces nouveaux « gangstas » s’époumoner, la tendance n’était définitivement pas au suicide, mais plutôt à la résurrection ! Renaissance qui se matérialisa un peu plus tard par deux incarnations réelles de Venom qui ont asséné la foule de leurs sons schizoïdes et aliénants. Effectivement, les Italiens de The Bloody Beetroots ne manquent pas de rage et d’acidité lorsqu’il s’agit de déplacer des foules et c’est sans doute grâce à leurs exigences sans limites qu’ils sont capables de tels exploits. Transformant l’hippodrome en dancefloor de taille phénoménale, ils tenaient à ce moment précis l’oscar de la performance du festival.

Mais il ne fallait tout de même pas oublier que les meilleurs instants se savourent épicés. Oui, les dandies chics de Curry & Coco étaient bels et bien présents, constants, contrastés et constat fut fait que jamais une musique électro française ne nous aura été servie de manière aussi exquise. Il ne restait plus qu’aux prodigieux Islandais de FM Belfast, aux noms subtilement imprononçables, d’achever les dernières notes électroniques de ce festival haut en contrastes.

Le Rock Dans Tous Ses États aura démontré une fois de plus, en sélectionnant une légion d’artistes époustouflants, que popularité ne rime pas systématiquement avec musique commerciale. En restant conviviaux, ouverts et perspicaces, ils ont permis à de nombreux artistes de pouvoir poursuivre sur leur lancée et de leur ouvrir un passage sur les voies de la prospérité. Favorisant l’écologie et la culture sous toutes ses formes, ce festival addictif agit telle une drogue licite, se transforme en droit inaliénable au point de se demander si la création d’un visa reconductible ne serait pas d’utilité publique. Agissant en profondeur, il laisse une marque artistique indélébile et c’est sans aucune hésitation que l’on peut donner comme unique conseil avisé d’y retourner.


Par C. R.

Remerciements : Pierre Gruning & his lovely Family, Patrice Mancino, Rod Maurice, Phil Abdou, Nadine, N.

Pictures : All Rights Reserved Phil Abdou.


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http://twitter.com/LeRock2010

My Own Private Alaska INTW - Ainsi soit-il.

Entre épopée spirituelle et voyage initiatique à la manière du film Into The Wild, My Own Private Alaska semble s’inspirer des idéaux spirituels du jeune Alexander Supertramp.

En pleine émancipation musicale, le groupe formé de Matthieu Miegeville au chant, Tristan Mocquet au piano et Yoan Hennequin à la batterie, délivre une musique pure et s’affranchit des préjugés. Se distinguant sensiblement de leurs homologues français, l’évolution du groupe et sa récente ascension sont très certainement dues à leur collaboration avec le producteur notoire Ross Robinson, qui a par ailleurs travaillé avec Korn, Glassjaw ou encore At The Drive-In. Ressort de cette ingénieuse association un premier album éponyme Amen, exutoire subtilement travaillé où la mélancolie transporte l’auditeur dans une sorte de voyage astral. Expérience inédite de décorporation, l’esprit se laisse aisément guider le long des titres dans un périple introspectif intense.

Sillonnant les routes à l’occasion de leur tournée, nous avons rencontré le trio toulousain lors de leur passage sur la scène du Nouveau Casino à Paris. Halte savoureuse dont nous nous sommes délectés lors d’un concert à vif, où transe rimait avec exaltation, où tous nos sens se sont éveillés, laissant place pour une fois à la spontanéité et l’évasion psychique.

M.O.P.A. prenait place ce soir-là, dans un décor morose, encadré par les toiles de Yohan reliées à des chaines industrielles dans la veine sombre des peintures de Francis Bacon, le groupe a délivré une prestation extrême et transcendantale.

Les membres du groupe post-rock finlandais Magyar Posse assuraient cette année-la première partie du concert. Leurs prestations si rares en France, rendaient leur venue encore plus exaltante. Leur show fut à la hauteur des espérances, entraînant d’entrée de jeu la foule dans un univers à mi-chemin entre instrumentale et musique cinématographique, en inspiration directe du compositeur Ennio Morricone, ils laissent derrière eux un Spleen Baudelairien presque palpable.

Arrivait ensuite les membres engagés de M.O.P.A. Entre une entrée en matière homérique sur le mystique titre éponyme de l’album Amen, une interprétation déchirante et renversante de leur single After You, et une mise en scène épique du morceau Broken Army, l’investissement du groupe était total. Expatriés dans une sorte d’univers parallèle, leur reprise de Leadbelly, My Girl, éveilla les néophytes, enchanta les fans de la première heure et combla la presse locale. Entre émerveillement et déchirement, un concert de My Own Private Alaska se vit intimement et on ne peut ressortir indemne d’une telle expérience.

Revenant sur les instants mémorables qu’ils ont passés aux États-Unis pour l’enregistrement de leur album, les membres de My Own Private Alaska partagent sans aucune barrière leur rencontre quasi karmique avec Ross Robinson, la venue au monde de leur premier né et traduisent le plus fidèlement possible leurs visions personnelles d’appréhender les expériences de la vie…

Votre rencontre avec Ross Robinson a véritablement été décisive au niveau de votre évolution. Il a travaillé et aidé des groupes de renoms tout au long de sa carrière tels que From First To Last, At The Drive-In, Deftones ou encore Soulfly. A quand remonte votre rencontre ?

Tristan : Cela s’est passé très vite, de façon virtuelle sur Internet. Je crois que cela remonte à octobre 2007, soit 6 mois après la formation du groupe… J’étais sur MySpace, je faisais un peu de promo pour le groupe et nous étions un tout nouveau groupe donc il fallait vraiment en faire ! (rires) Je suis tombé un jour sur la page de Ross Robinson et je lui ai envoyé un message, sorte de requête… (rires) Le lendemain, il nous a envoyé un message en nous disant : « Salut les gars, j’ai écouté ce que vous faites, c’est merveilleux, dites moi comment je peux vous aider. »… Voilà donc, le truc improbable, le truc qui n’existe pas quoi ! Évidemment, on a pensé à une blague, genre, « c’est n’importe quoi ! Quel est notre pote qui a hacké le MySpace de Ross Robinson ? » (rires), Mais à l’évidence, ce n’était pas du tout une blague… En fait à l’époque, il prenait le temps d’écouter chaque groupe qui lui faisait une requête et puis à cette époque-là encore, il avait la possibilité de dégager du temps pour enregistrer les groupes, ses découvertes, et du coup on s’est dit que ce serait intéressant de travailler ensemble. Huit mois plus tard, on s’est retrouvé chez lui à Los Angeles, entre un album de Norma Jean et un album de Korn. Complètement taré quoi ! (rires)

Yoan : Oui, surtout qu’il faut savoir que c’est quelqu’un qui choisit ses projets, ce n’est pas quelqu’un que tu peux t’acheter comme ça, il ne ferait pas du tout Disturb même pour 8 milliards de dollars, même si on le tannait pour le faire. Il est souvent découvreur de talents, il fonctionne aux « coups de cœur » et à l’âme. Même dans son rôle de technicien de prod, il sait à peine poser un micro, il ne touche pas beaucoup aux boutons, c’est quelqu’un de passionné qui travaille vraiment à l’humain et pour des projets qui lui parlent, puisque pour lui, la musique est aussi importante, voire plus, que la religion ou bien la politique. Si tu parles en termes d’avancement de vie, c’est quelque chose avec laquelle tu ne peux pas tricher. Cela a donc d’autant plus de valeur pour nous, groupe du sud de la France, d’avoir eu l’occasion de travailler avec ce mec-là sur notre premier disque, si tôt dans notre vie.

Ross Robinson a travaillé en collaboration avec Ryan Boesh pour le mixage ce premier opus. Comment s’est déroulé le travail en studio ?

Tristan : Ouais Ryan Boesh ! Il a fait tous les albums de Eels, il a bossé avec les Foo Fighters

Yoan : Les deux sont très complices, ils ont l’habitude de travailler ensemble. Ryan était justement en train de bosser sur l’album de Eels, pendant qu’au même moment on enregistrait avec Ross, donc ce n’est pas lui qui a fait l’ingénieur Pro Tools sur place. Mais la démarche de Ross est très intéressante, c’est quelqu’un qui est dans la pièce avec toi, qui répète avec toi et qui te fait réfléchir sur le sens profond de tes morceaux, de ta musique et au final sur toute ta vie ! Le but final étant de donner un album le plus sincère possible. Pour lui, si tu écris quelque chose et que tu ne l’assumes pas à 300%, tu remontes et tu réécris tout. Il privilégie le fait de te rendre vulnérable. On lui a fait confiance comme à peu de personnes, on a confié des secrets que l’on n’osait même pas s’avouer nous même. Du coup, il nous a aidés à transformer beaucoup d’expériences négatives en quelque chose de très positif. L’humain ne doit faire qu’un avec ta musique parce que pour lui, la meilleure manière d’être original est de proposer des verres d’eau là où tout le monde attend de la bière ! (rires) C’est de faire quelque chose qui te ressemble en essayant de t’affranchir des techniques apprises, dans lesquelles tu t’es confortablement installé.

Et qu’en est-il de sa démarche au niveau de l’écriture à proprement parlé ?

Yohan : Au niveau des textes, c’est très profond, dans le sens où on a toujours fait de longs brainstormings, de longues séances psychologiques, parfois spirituelles, sur le sens des textes et des morceaux. Il voulait savoir à quelles expériences de vie on pouvait se rattacher pour aller dans le même sens, pour chanter tous les trois d’une même voix.

Tristan : Ce n’est pas forcément par rapport aux thèmes des chants, mais c’est vraiment par rapport à la musique, pour lui, la musique change le monde. Il pense que l’être humain est là pour faire avancer le monde dans un sens meilleur. Et c’est vrai que ce mec a changé le monde dans un sens. Combien de millions de personnes ont été touchés par les albums des groupes qu’il a produits. Après Korn, il y a des mecs qui se sont fait pousser des dreads, nous on a ajouté des cordes à nos guitares entre autres… (rires) C’est vraiment taré ce qui s’est passé avec Ross… Au niveau de la musique, il y a un avant et un après Ross Robinson !

Yoan : Le plus fou dans les prises aussi c’est que pour lui tu sers de portail à la musique. C’est quelque chose qui te dépasse, qui est là, ça passe à travers toi, sans vraiment que tu y fasses attention. Il y a beaucoup de trucs qu’on a encore du mal à retrouver et que l’on a fait sur ce disque de façon spontanée et qu’on ne refera peut-être plus jamais.

Tristan : C’est tellement facile de se cacher dans le sens où il est très difficile de se montrer tel que l’on est réellement, sans masque, sans les codes qui vont bien, sans les techniques, de se mettre à nu, d’être nous même avec nous. On refuse tous de s’avouer des choses, on se cache tous derrière des excuses, derrière des problèmes. La pochette de l’album reflète cet état d’esprit, tu y vas avec tout ton cœur et ton âme. Ross Robinson tend les groupes vers ça. Et le jeu en vaut vraiment la chandelle, parce qu’honnêtement, ça donne des choses de fou !

Yoan : Et puis au-delà de ça, ce qui l’intéresse c’est d’être innovant. Il faut que tu puisses ajouter quelque chose à l’édifice. Pour lui la musique ne doit pas représenter un cycle infini qui se perd dans les codes. Il faut qu’il y ait une certaine fraîcheur et spontanéité dans la forme, mais surtout dans le fond.

On dit souvent que le talent se travaille, mais c’est avant tout quelque chose d’inné. La musique se ressent, se vit… La plupart du temps les personnes qui aiment vraiment la musique ne peuvent vivre sans. La musique pourrait être assimilée à n’importe quel moment de ta vie, au travers de tes émotions, de tes épreuves et on peut souvent y associer une chanson, un passage, une note, une mélodie…

Tristan : Tout à fait ! En même temps ça reste difficile de s’affranchir de tes propres références et de tes référents. On est tous issus d’une société, avec ses codes et ses valeurs… Il y a énormément de groupes qui se revendiquent de telle scène, peu importe, emo, screamo, post-punk ou hardcore ; en plus de cela, tu peux y ajouter tout ton background adolescent. C’est difficile d’être à la fois unique tout en restant soi-même et le paradoxe réside justement en ces points…

Vous avez donc été obligé de faire abstraction de tout votre passif musical, de tout ce qui pouvait vous inspirer pour retrouver votre sens personnel créatif ?

Yoan : Il y a un côté commun à ça ; mais après on s’est très vite compris. Je pense qu’il il y avait déjà ce coté là, de ne pas tricher, dans notre musique, d’être le plus violent et sincère possible. Il y avait déjà un côté jusqu’au-boutiste, mais peut être moins positif que ce qu’on a pu créer grâce à Ross. À l’époque on vivait des choses négatives, mais on revivait ces expériences négatives en restant dans le coté « dépressif de la force » ! (rires) C’est grâce à lui que nous avons pu murir, nous soigner et aider les autres au travers de ce que l’on a donné dans ce disque là. C’est pour cela que c’est tellement fort avec chaque album et chaque groupe qu’il choisit de faire. Il y a quelque chose qui te touche au plus profond de toi même, même si c’est nouveau.

Oui, c’est vrai qu’il est difficile de s’affranchir de son passé et d’arriver à comprendre ce qui nous est arrivé, le gérer et l’assimiler…

Tristan : Pour être honnête, on en a beaucoup parlé, jusqu’à ce qu’on soit dans un état de fragilité, ou en tout cas jusqu’à ce qu’on comprenne quelque chose et qu‘à ce moment-là tu te dises « Hop ! Une barrière a sauté ! » Là il nous disait « OK, on est là où je voulais en arriver, on débranche le cerveau et maintenant tu joues ! ». Yoan parlait du portail, il se trouve que c’est un truc qui fait que tu es quelque part, ton cerveau est quelque part… C’est la transe, tu joues… C’est un peu métaphysique, mais c’est efficace ! (rires)

Ça me fait un peu penser aux techniques de méditation où justement le but n’est pas la focalisation sur une pensée particulière, mais l’ouverture d’esprit au maximum…

Tristan : C’est ce qu’on essaie de reproduire sur scène. On se concentre beaucoup psychologiquement pour ressentir un peu les émotions qu’on a vécues avec Ross. D’ailleurs c’est marrant parce qu’à chaque fois, en tout cas pour moi, que je me mets à penser à ce que je fais, à vraiment en être conscient, genre « Tiens, là je suis sur la scène du Nouveau Casino en train de jouer… », c’est là que je me plante… Lorsque tu es conscient de ce que tu fais, c’est là que tu te plantes. C’est dingue ! (rires) Et vous allez l’entendre ce soir, dès qu’il y a un pain, c’est ça ! (rires)

Parlant de prendre conscience des choses, pourquoi avez-vous choisi d’intituler votre album Amen ?

Yoan : Il y a plusieurs raisons à cela. Pour nous, c’est un mot assez universel, au-delà de la barrière religieuse, un peu catholique… En fait, c’est l’un des premiers morceaux de ce disque et c’est sans conteste l’expérience la plus forte que l’on a vécue en terme de session propre. C’est un morceau à la base dans ce disque qui parle de ce que tu peux ressentir suite à la perte d’une personne qui t’est vraiment proche, auquel tu tiens énormément. Comment tu appréhendes ça et essaies d’y trouver un côté positif, de la voir dans un arc-en-ciel plutôt que de te tuer pour rejoindre la personne. Le but de la préparation mentale au fait d’enregistrer ce morceau était de rappeler les êtres chers au milieu de la pièce. Tous les gens que tu as perdus, notamment la personne dont parle ce morceau, il fallait la rappeler dans la pièce. On a senti quelque chose d’extrême, on a senti sa présence et pour nous ça a été l’expérience la plus marquante. Et d’un autre côté, il y a aussi la phrase « qu’il en soit ainsi » que tu dis après avoir fait ta prière. Tu te rends compte que tu as fait ce qu’il fallait, tu as fait ton devoir et que cette histoire a déjà fait un petit bout de chemin. C’est pour cette résonnance là que ce titre compte pour nous. Après, je pense que le morceau te porte de lui-même, tu la sens cette profondeur, dans ce morceau-là, même si la structure reste simple, c’est vraiment une musique où tout est dans l’âme et dans l’intention. Ça parle du cœur et du ventre, pas de la tête.

Oui effectivement, et l’on ressent d’ailleurs cette mélancolie tout au long de l’album, notamment sur les parties au piano, ou à la batterie qui sont très profondes…

Tristan : C’est mon univers, je n’en connais pas d’autres, pianistiquement parlant je serais incapable de jouer autre chose que ce côté un peu mélancolique. Ce sont des sensations que j’ai beaucoup ressenties étant gamin. J’ai vécu dans la forêt de Fontainebleau et cette vision de la forêt à la tombée de la nuit m’a beaucoup marqué. Il y a un côté un peu flippant, pas dans le sens de la peur, mais parce que tu ne sais pas ce que tu fais là, tu ressens les choses bizarrement, c’est vraiment empreint de mélancolie. Ça te file des pincements au cœur. (Rires) Ce n’était pas du mal-être, je ne savais pas ce qui m’arrivait, notamment le dimanche soir… (rires) Enfin ça, je pense que c’est parce que le lendemain j’allais à l’école ! (rires) Cette sensation est toujours très ancrée en moi, c’est très profond. Je n’ai pas fait le Conservatoire, mais en grandissant je me suis plus retrouvé dans la veine romantique, genre Satie et Chopin. Le côté « devenir le meilleur interprète de tel ou tel artiste » , jouer la note parfaite, avec M.O.P.A. c’est juste tout l’inverse. Nous ne cherchons pas à être parfaits, juste à être nous-mêmes et à être vrais.

Yohan : Il y a un coté très punk ! nous ce que l’on recherche et ce à quoi on attache de l’importance, c’est vraiment le sentiment de vouloir tout donner sur scène. Essayer de rendre quelque chose de mélancolique, de manière très cathartique et très positive. De parler au plus profond des personnes. D’ailleurs, c’est-ce que l’on a pu observé la plupart du temps quand on joue, les gens sont un peu surpris, scotchés, mais surtout touchés. Ils ne vont pas pogotter, avoir des réactions un peu disproportionnées. Ça plonge, parce qu’on joue en faisant un triangle, assis, une espèce de losange avec un cercle d’énergie positive et c’est un instant qui nous grandit. Parfois on a la chance de toucher des personnes de manière assez sincère. C’est chouette ! C’est vraiment ce que l’on souhaite.

Tristan : L’auditeur s’identifie à toi, parce que tu es vrai, donc il ne se sent pas biaisé. La barrière disparaît, tu sens que le mec qui joue est humain, tu sens qu’il a des faiblesses, et du coup ça fait écho avec toi-même et c’est là qu’il se passe des choses. Alors même si ça peut paraître froid de jouer de profil, on n’est pas en train d’alpaguer la foule avec tous les codes qui vont bien. On essaie en tout cas de mettre des choses de côté au profit de la musique.

Comme pour le piano, au niveau de la batterie, chaque frappe prend une tout autre dimension, une ampleur plus conséquente et plus les morceaux avancent, plus la dimension explose…

Yohan : Je cherche vraiment la transe dans l’intention et j’aime me faire porter par quelque chose, c’est vraiment ce qu’on expliquait tout à l’heure. Je ne veux pas réfléchir en jouant, je ne veux pas penser, à mon rat, à mon solo à tel endroit, ça sort et je tape fort parce que je vis quelque chose de très fort. Ça m’arrive souvent de me péter les doigts sur scène, de saigner, mais de m’en moquer, ou encore de faire tomber du matos et de ne pas m’en rendre compte. Ce n’est pas le but de la démarche, c’est vraiment donner tout, tout ce que t’as ! Après ça peut faire référence à des trucs un peu free, à des cultures animales, mais pour moi c’est la base du rythme, c’est comme ça que ça doit être exprimé, et pas dans le côté progressif du terme. Je veux retrouver le côté animal du rythme. Je fais aussi de la peinture à côté, je cherche en fait les gens derrière les artistes, et si je ne sens personne, si je sens juste une référence à quelqu’un que je connais, ça ne m’intéresse pas. Ça ne me parle pas. Ce qui m’inspire plus, c’est les mecs qui ont leur propre univers parce qu’ils sont eux-mêmes. Ça peut être un réalisateur de ciné, comme un musicien, comme un peintre, comme un batteur. Je fais juste attention à ne pas faire attention.

Votre reprise de My Girl de Leadbelly, également reprise par le groupe culte grunge Nirvana, est sortie il y a quelque temps, pourquoi avez-vous choisi de reprendre ce morceau en particulier ?

Yohan : C’est un vieux standard de blues, on ne savait pas vraiment par qui ça avait été composé à la base, c’est un mec dans les champs de coton qui a fait ça, parce que ça lui parlait à l’époque et c’est un mec qui faisait de la country qui se l’est approprié. Du coup, il y a plusieurs références, le fait que le texte correspondait énormément à nos vies à l’époque, notamment à des déboires sentimentaux, comme on peut l’imaginer… Quelque part il y avait aussi le coté « faire référence à Nirvana », parce qu’on a été très touchés étant jeunes. C’est un peu notre génération et justement ce mec faisait sauter toutes les barrières, parce qu’il était lui-même, avec des morceaux très simples, et une intention très punk, bien au-delà de tous les excès de la drogue, c’était quelqu’un à fleur de peau, de très sensible et fragile, c’est une sorte d’hommage à ce mec. Enfin, il y a le côté standard de blues, remixé au piano, de manière un peu classique, ça nous parlait beaucoup… Tout concordait, même si on ne l’a pas cherché au départ, cela a créé un point de référence pour des personnes qui entendent un concept très fort pour la première fois, et arrivent sur un morceau qui est déjà connu. Du coup ça fait un petit repère. C’est marrant parce que cette reprise-là a été un véritable déclic ! On a répété avec Ross dans la pièce pendant une semaine et demie, à chercher justement tout ce dont on parle aujourd’hui, et ce morceau-là a été le déclic pour passer à l’enregistrement propre. Quelque chose s’est passé dans la pièce quand on a répété et c’était tellement vécu qu’il s’est dit « c’est prêt, on peut appuyer sur rec. et coucher ça sur bande ! ». (rires)

Dans Page of Dictionnary, vous dites : « So let’s stop, so let’s stop this shit ! You’re not the tough guy you think you are. You’re a tiny, tiny boy. ». À qui cette chanson est-elle destinée ?

Tristan : (rires) C’est l’une des toutes premières chansons qui ait été écrite, par Milka, le chanteur. Ça s’adresse aux membres du milieu « très fermé » du hardcore, avec tous leurs codes, genre : « Si tu fais pas du 2step à tel moment, t’es pas in du tout, si tu fais pas le Circle Pit à tel moment ça craint ! ». Ça faisait parti du cahier des charges à l’époque de jeter un pavé dans la marre dans ce milieu du hardcore/screamo… (rires) Ça s’adresse à eux.

Yohan : Aux débuts de My Own Private Alaska, on avait vraiment une volonté de faire péter des codes, de montrer qu’on pouvait exprimer une violence beaucoup plus extrême que des groupes qui se disent extrêmes, parce que justement ils se cachent derrière un personnage, fort, avec des gros tatouages, des déguisements en fait ! Lors de l’enregistrement de cet album, on s’est rendu compte que si on voulait exprimer quelque chose de violent, il fallait le faire dans le sens premier du terme, avec une intention violente, déjà pour toi. Et si tu ne ressens pas ça, si tu fais simplement ta technique d’aller-retour sur ta gratte, pour nous ça ne va pas plus loin que Chantal Goya ! (rires) Quoi qu’en y repensant Chantal Goya a touché beaucoup de jeunes enfants et a un coté beaucoup plus touchant que beaucoup de groupes de Black Métal.

Tristan : La référence ! (rires) Chantal Goya et le Black Métal… Je n’aurais jamais pensé les associer un jour… (rires)

Yohan : Ce morceau est une leçon, mais également un rappel pour nous-mêmes, parce que parfois tu serais tenté de faire le mec « Ouais, moi c’est bon ça va, c’est cool. Je suis fort ! » et en fait pas du tout. On a tous nos faiblesses, des expériences assez extrêmes qui nous ont rendus vulnérables et c’est ça qui fait la richesse d‘une personne.

Et à propos de la chanson After You, comment en êtes-vous arrivés à écrire de telles paroles ? (Milka rejoint l’interview, NDLR)

Milka : After You a été composée en vitesse dans une chambre d’hôtel ! (rires) Le premier truc qui a été créé sur After You c’est la mélodie de chant du couplet. Ça a été écrit dans une chambre d’hôtel très tard, sur la tournée de Psykup en 2008 et j’ai demandé aux autres si on pouvait broder un truc autour parce que moi j’avais pleins de trucs à dire autour de cette mélodie, ça me parlait beaucoup. Par rapport à d’habitude où c’est Tristan qui trouve les bases mélodiques au piano, là le refrain a été chanté par Yohan, qui avait des trucs qui lui raisonnaient dans la tête sur le refrain. Tristan du coup a traduit nos idées concrètement au piano et il a composé le reste du morceau. C’est l’un des morceaux les plus accessibles, les plus collégial, où la construction a été la plus originale en tout cas.

Yohan : Pour nous ça a caractérisé le début d’un effort, même si on met toujours toute notre âme et toute notre patte. Il y a ce côté effort de groupe où l’on bosse tous dans un même sens, où l’on a des idées pour tout le monde en gardant une formule assez simple, parce que c’est l’un des morceaux les plus faciles à jouer, les plus accessibles à écouter. Cependant, il y a quand même quelque chose qui se passe en terme de violence et d’intention, ne serait-ce que dans l’expression de cette musique et l’écriture de ces textes.

Milka : Le clip d’After You résume un petit peu ce que résume la chanson, avec des personnes qui sous couverts de très beaux apparats et qui cachent des choses assez tordues et indicibles. À l’inverse, il y a nous qui portons sur nous toute cette crasse, et nous nous en débarrassons au fur et à mesure que l’on joue le morceau. C’était un moment de ma vie où je faisais des mauvais choix pour l’intégrité de ma santé, physique ou psychologique, j’écrivais des morceaux en choisissant cette voie-là… Lâcher tout dans la musique et écrire des textes par rapport à des expériences pas super heureuses. Parfois on a envie d’effacer de sa mémoire certains pans de sa vie comme on efface quand on glisse à la corbeille des dossiers sur un ordinateur, sauf que voilà, je n’ai toujours pas trouvé le glisser/déposer dans mon cerveau. (rires)

Vos vidéos sont toujours très travaillées, vous avez d’ailleurs travaillé avec Benjamin Capelleti, et votre musique ne s’en retrouve que renforcée. Quelque part cela se rapproche assez de la musique de cinéma, comme la chanson Broken Army où l’on s’imagine des soldats courant, évitant les bombes, puis leur destin lié à l’utilisation de leurs armes… En quoi le cinéma est important pour vous ?

Yohan : Le rapport de Broken Army avec du cinéma, c’est que t’as un coté premier qui est le regard sur la guerre, parce que c’est vrai que nous en tant que jeunes Français, nous n’avons vécu la guerre depuis 50-60 ans, on ne l’a donc pas vécue de manière directe. Après pour rester sur le morceau, on a tous des grands-parents qui l’ont fait, on a des personnes autour de nous qui ont vécu la guerre en ex-Yougoslavie. On ne le dit jamais assez, on arrive jamais à le décrire de manière aussi dégueulasse que ça se passe, mais c’est vrai que quand tu vois toute ta famille se faire tuer du jour au lendemain, par des voisins proches, tu ne peux pas ressortir indemne de ce genre d’expérience. Il y avait aussi une réflexion sur les choix, les choix que tu fais par rapport à ce genre de situations, est-ce qu’il vaut mieux tuer ton voisin pour te venger, fuir, ou te tuer toi-même… C’est à la fois extrême et absurde au final. Quand tu as un peu de recul sur l’origine des conflits et ce que ça a apporté dans l’avancement des vies, c’est ridicule et vain.

Milka : Ce que l’on peut noter aussi, c’est qu’il y a eu beaucoup plus de Jean Moulin de 20 ans après la guerre qu’en 44… C’est beaucoup plus facile de se dire résistant et investi avec le recul des années. On est beaucoup plus sur le sens que sur la musicalité. C’est le sens après qui a donné l’interprétation de Broken Army sur le CD, il y avait vraiment ce côté de l’investissement, si ça arrivait demain, qu’est-ce qu’on serait à même de faire ? C’est dur de se projeter, et moi par une certaine honnêteté, par rapport à ma fragilité ou à tout simplement à mes faiblesses, je ne sais pas si je résisterais, je ne sais pas si je ferais ce que certains de nos aïeux ont fait, et qu’on respecte. Je crois qu’il y a très peu de gens qui feraient ces choix-là aujourd’hui tellement aujourd’hui nos vies sont confortables.

Yohan : Pour en revenir au cinéma, les choses qui nous marquent, c’est comme dans l’art en général, c’est ce qui peut nous toucher chez un peintre, un réalisateur, n’importe quoi… C’est sentir l’humain, un personnage d’unique et sincère, qu’on ait des personnes devant nous qui nous proposent des choses qui leur ressemblent. Il y a des films qui nous on parlé pour essayer de définir notre musique. À travers le titre, il y a My Own Private Idaho, de Gus Van Sant, avec une histoire très forte, extrême, un peu folle.

Il y a aussi Insomnia, où tu as la fameuse réplique du personnage femme qui dit « En Alaska, il y a les natifs, et il y a ceux qui y vivent pour fuir un ailleurs. ». Nous on est dans cette seconde catégorie de personne. À la base de ce groupe, on voulait à tout pris revenir sur quelque chose de pur et de sincère pour respirer. C’est reprendre la métaphore du verre d’eau par rapport à toute la bière qu’on nous propose. Mais après on a eu des déclics aussi qui nous on fait marré, c’est-à-dire qu’on a fait le groupe et la définition du concept avant qu’Into the Wild ne sorte, et quand on est allé voir ce film on s’est pris une énorme baffe, parce que c’était tout ce qu’on cherchait à représenter, c’était le détachement premier et la fuite vers quelque chose de pur. Les personnes sincères peuvent néanmoins nous apporter énormément

Êtes-vous déjà en train de travailler sur un nouveau clip ?

Tristan : Oui, on bosse sur un clip d’Amen. Ça, c’est en théorie. Après quand ? Comment ? Ce sont les grandes questions. On a en ce moment l’esprit sur les tournées et tout un tas d’autres choses. On ne sait pas encore comment ça va se matérialiser, mais ne serait-ce qu’en termes de thème visuel et graphique, comme on pouvait avoir avec After You, le pétrole, la fille et le jeu de vases communicants entre le groupe et la fiction… On ne sait pas trop, mais oui, ce sera Amen ! Ça collerait aussi bien à la télé ! (rires) On ne sait pas si on aura des lectures au premier degré de ce qu’on fait, de ce qu’on dit… Pour l’instant on ne peut pas parler de choses concrètes, car la plupart du temps, les choses ne se réalisent jamais comme tu les as imaginées. Ça dépendra d’avec qui on bossera, de notre budget, etc.

Est-ce qu’il vous reste des souvenirs marquants de vos débuts ?

Yohan : On n’a que ça ! À vrai dire, on est encore dans un « début », on est sur un premier album, on n’arrête pas de découvrir des pays différents, des modes de vie différents, des oreilles et des cultures différentes, qui t’aident à vivre quelque chose de différent par rapport à toi-même. Quand on a commencé cette tournée, on a commencé dans les pays de l’Est. On a traversé des pays très pauvres où tu vois des gamins qui jouent avec des bouteilles en plastique dans des champs de boue, tu vois des charrettes passer, des gens qui vendent des verres d’eau, de la prostitution avec des filles que tu vois dans les magazines chez toi tellement elles sont magnifiques, et en même temps tu vois des personnes vachement chaleureuses qui donnent beaucoup plus que ce qu’elles ont. C’est vraiment l’application du proverbe : « Moins t’en as, plus tu donnes ». Les mecs voulaient nous donner leur maison, leur nourriture, tout, tout ce qu’ils avaient ils voulaient nous le donner. Ce ne sont pas des situations que tu vis dans des pays plus confortables, ne serait-ce que chez nous. On a tendance à beaucoup se plaindre de tout ce qu’on a, alors qu’on a énormément de structures, de salles, une situation de confort presque absurde par rapport à ce que ces personnes-là vivent, et c’est vrai que ça nous a réveillés, et on conseille à tous les groupes qui en ont la possibilité d’y aller et de voir vraiment comment ça se passe. On est content d’en être sorti, humainement parlant.

On sait que vous aimez beaucoup GlassJaw, ils viennent justement au Nouveau Casino en août prochain, vous serez là ?

Tristan & Milka : Non sérieusement ? Bah écoutes ouais carrément !

Yohan : Nous on a eu échos de GlassJaw, parce que c’est l’une des expériences les plus marquantes qu’a vécu Ross, en terme d’enregistrement, parce que c’est ce qui leur a permis de sortir de toutes ces espèces de hype new métal et de proposer quelque chose de fou et de nouveau. Après il a été très touché par le chanteur parce que c’est quelqu’un qui a beaucoup de problèmes physiques et qui n’a pas eu d’expérience sexuelle avant d’enregistrer son chant, et du coup il avait une énergie et une intention bien au-delà de ce que toute personne aurait pu donner. Toute la frustration par rapport à ses problèmes physiques et mentaux et apparemment aujourd’hui, il se serait un peu perdu dans des comportements destructeurs. À l’époque, leurs albums nous ont beaucoup parlés, beaucoup touchés, mais est-ce que ça nous parlera encore aujourd’hui par rapport à ce qu’ils sont devenus ? Est-ce qu’ils ont su conserver le message et la leçon qu’est de faire un album avec Ross Robinson ?

Tristan : Ouais, mais je pense que si c’est joué avec un petit peu de sincérité et d’authenticité, la musique fera le reste.

Un petit mot à nous dire avant que l’on se quitte ?

Yohan : On veut remercier les personnes qui font l’effort de soutenir la musique, de la soutenir en venant à des concerts, c’est aujourd’hui facile de télécharger de la musique, d’être dans son lit derrière son PC. Nous en fait, on a cette volonté-là avec cet album de zapper beaucoup d’intermédiaires et du coup de proposer un double vinyle avec CD / DVD de deux heures, à une vingtaine d’euros, justement pour faire des cadeaux aux personnes qui font encore l’effort de soutenir des groupes.


Par C. R.

Remerciements : Phil A., Tristan, Yohan, Milka, N.

Pictures : All Right Reserved Phil Abdou.

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