7/31/2010

My Own Private Alaska INTW - Ainsi soit-il.

Entre épopée spirituelle et voyage initiatique à la manière du film Into The Wild, My Own Private Alaska semble s’inspirer des idéaux spirituels du jeune Alexander Supertramp.

En pleine émancipation musicale, le groupe formé de Matthieu Miegeville au chant, Tristan Mocquet au piano et Yoan Hennequin à la batterie, délivre une musique pure et s’affranchit des préjugés. Se distinguant sensiblement de leurs homologues français, l’évolution du groupe et sa récente ascension sont très certainement dues à leur collaboration avec le producteur notoire Ross Robinson, qui a par ailleurs travaillé avec Korn, Glassjaw ou encore At The Drive-In. Ressort de cette ingénieuse association un premier album éponyme Amen, exutoire subtilement travaillé où la mélancolie transporte l’auditeur dans une sorte de voyage astral. Expérience inédite de décorporation, l’esprit se laisse aisément guider le long des titres dans un périple introspectif intense.

Sillonnant les routes à l’occasion de leur tournée, nous avons rencontré le trio toulousain lors de leur passage sur la scène du Nouveau Casino à Paris. Halte savoureuse dont nous nous sommes délectés lors d’un concert à vif, où transe rimait avec exaltation, où tous nos sens se sont éveillés, laissant place pour une fois à la spontanéité et l’évasion psychique.

M.O.P.A. prenait place ce soir-là, dans un décor morose, encadré par les toiles de Yohan reliées à des chaines industrielles dans la veine sombre des peintures de Francis Bacon, le groupe a délivré une prestation extrême et transcendantale.

Les membres du groupe post-rock finlandais Magyar Posse assuraient cette année-la première partie du concert. Leurs prestations si rares en France, rendaient leur venue encore plus exaltante. Leur show fut à la hauteur des espérances, entraînant d’entrée de jeu la foule dans un univers à mi-chemin entre instrumentale et musique cinématographique, en inspiration directe du compositeur Ennio Morricone, ils laissent derrière eux un Spleen Baudelairien presque palpable.

Arrivait ensuite les membres engagés de M.O.P.A. Entre une entrée en matière homérique sur le mystique titre éponyme de l’album Amen, une interprétation déchirante et renversante de leur single After You, et une mise en scène épique du morceau Broken Army, l’investissement du groupe était total. Expatriés dans une sorte d’univers parallèle, leur reprise de Leadbelly, My Girl, éveilla les néophytes, enchanta les fans de la première heure et combla la presse locale. Entre émerveillement et déchirement, un concert de My Own Private Alaska se vit intimement et on ne peut ressortir indemne d’une telle expérience.

Revenant sur les instants mémorables qu’ils ont passés aux États-Unis pour l’enregistrement de leur album, les membres de My Own Private Alaska partagent sans aucune barrière leur rencontre quasi karmique avec Ross Robinson, la venue au monde de leur premier né et traduisent le plus fidèlement possible leurs visions personnelles d’appréhender les expériences de la vie…

Votre rencontre avec Ross Robinson a véritablement été décisive au niveau de votre évolution. Il a travaillé et aidé des groupes de renoms tout au long de sa carrière tels que From First To Last, At The Drive-In, Deftones ou encore Soulfly. A quand remonte votre rencontre ?

Tristan : Cela s’est passé très vite, de façon virtuelle sur Internet. Je crois que cela remonte à octobre 2007, soit 6 mois après la formation du groupe… J’étais sur MySpace, je faisais un peu de promo pour le groupe et nous étions un tout nouveau groupe donc il fallait vraiment en faire ! (rires) Je suis tombé un jour sur la page de Ross Robinson et je lui ai envoyé un message, sorte de requête… (rires) Le lendemain, il nous a envoyé un message en nous disant : « Salut les gars, j’ai écouté ce que vous faites, c’est merveilleux, dites moi comment je peux vous aider. »… Voilà donc, le truc improbable, le truc qui n’existe pas quoi ! Évidemment, on a pensé à une blague, genre, « c’est n’importe quoi ! Quel est notre pote qui a hacké le MySpace de Ross Robinson ? » (rires), Mais à l’évidence, ce n’était pas du tout une blague… En fait à l’époque, il prenait le temps d’écouter chaque groupe qui lui faisait une requête et puis à cette époque-là encore, il avait la possibilité de dégager du temps pour enregistrer les groupes, ses découvertes, et du coup on s’est dit que ce serait intéressant de travailler ensemble. Huit mois plus tard, on s’est retrouvé chez lui à Los Angeles, entre un album de Norma Jean et un album de Korn. Complètement taré quoi ! (rires)

Yoan : Oui, surtout qu’il faut savoir que c’est quelqu’un qui choisit ses projets, ce n’est pas quelqu’un que tu peux t’acheter comme ça, il ne ferait pas du tout Disturb même pour 8 milliards de dollars, même si on le tannait pour le faire. Il est souvent découvreur de talents, il fonctionne aux « coups de cœur » et à l’âme. Même dans son rôle de technicien de prod, il sait à peine poser un micro, il ne touche pas beaucoup aux boutons, c’est quelqu’un de passionné qui travaille vraiment à l’humain et pour des projets qui lui parlent, puisque pour lui, la musique est aussi importante, voire plus, que la religion ou bien la politique. Si tu parles en termes d’avancement de vie, c’est quelque chose avec laquelle tu ne peux pas tricher. Cela a donc d’autant plus de valeur pour nous, groupe du sud de la France, d’avoir eu l’occasion de travailler avec ce mec-là sur notre premier disque, si tôt dans notre vie.

Ross Robinson a travaillé en collaboration avec Ryan Boesh pour le mixage ce premier opus. Comment s’est déroulé le travail en studio ?

Tristan : Ouais Ryan Boesh ! Il a fait tous les albums de Eels, il a bossé avec les Foo Fighters

Yoan : Les deux sont très complices, ils ont l’habitude de travailler ensemble. Ryan était justement en train de bosser sur l’album de Eels, pendant qu’au même moment on enregistrait avec Ross, donc ce n’est pas lui qui a fait l’ingénieur Pro Tools sur place. Mais la démarche de Ross est très intéressante, c’est quelqu’un qui est dans la pièce avec toi, qui répète avec toi et qui te fait réfléchir sur le sens profond de tes morceaux, de ta musique et au final sur toute ta vie ! Le but final étant de donner un album le plus sincère possible. Pour lui, si tu écris quelque chose et que tu ne l’assumes pas à 300%, tu remontes et tu réécris tout. Il privilégie le fait de te rendre vulnérable. On lui a fait confiance comme à peu de personnes, on a confié des secrets que l’on n’osait même pas s’avouer nous même. Du coup, il nous a aidés à transformer beaucoup d’expériences négatives en quelque chose de très positif. L’humain ne doit faire qu’un avec ta musique parce que pour lui, la meilleure manière d’être original est de proposer des verres d’eau là où tout le monde attend de la bière ! (rires) C’est de faire quelque chose qui te ressemble en essayant de t’affranchir des techniques apprises, dans lesquelles tu t’es confortablement installé.

Et qu’en est-il de sa démarche au niveau de l’écriture à proprement parlé ?

Yohan : Au niveau des textes, c’est très profond, dans le sens où on a toujours fait de longs brainstormings, de longues séances psychologiques, parfois spirituelles, sur le sens des textes et des morceaux. Il voulait savoir à quelles expériences de vie on pouvait se rattacher pour aller dans le même sens, pour chanter tous les trois d’une même voix.

Tristan : Ce n’est pas forcément par rapport aux thèmes des chants, mais c’est vraiment par rapport à la musique, pour lui, la musique change le monde. Il pense que l’être humain est là pour faire avancer le monde dans un sens meilleur. Et c’est vrai que ce mec a changé le monde dans un sens. Combien de millions de personnes ont été touchés par les albums des groupes qu’il a produits. Après Korn, il y a des mecs qui se sont fait pousser des dreads, nous on a ajouté des cordes à nos guitares entre autres… (rires) C’est vraiment taré ce qui s’est passé avec Ross… Au niveau de la musique, il y a un avant et un après Ross Robinson !

Yoan : Le plus fou dans les prises aussi c’est que pour lui tu sers de portail à la musique. C’est quelque chose qui te dépasse, qui est là, ça passe à travers toi, sans vraiment que tu y fasses attention. Il y a beaucoup de trucs qu’on a encore du mal à retrouver et que l’on a fait sur ce disque de façon spontanée et qu’on ne refera peut-être plus jamais.

Tristan : C’est tellement facile de se cacher dans le sens où il est très difficile de se montrer tel que l’on est réellement, sans masque, sans les codes qui vont bien, sans les techniques, de se mettre à nu, d’être nous même avec nous. On refuse tous de s’avouer des choses, on se cache tous derrière des excuses, derrière des problèmes. La pochette de l’album reflète cet état d’esprit, tu y vas avec tout ton cœur et ton âme. Ross Robinson tend les groupes vers ça. Et le jeu en vaut vraiment la chandelle, parce qu’honnêtement, ça donne des choses de fou !

Yoan : Et puis au-delà de ça, ce qui l’intéresse c’est d’être innovant. Il faut que tu puisses ajouter quelque chose à l’édifice. Pour lui la musique ne doit pas représenter un cycle infini qui se perd dans les codes. Il faut qu’il y ait une certaine fraîcheur et spontanéité dans la forme, mais surtout dans le fond.

On dit souvent que le talent se travaille, mais c’est avant tout quelque chose d’inné. La musique se ressent, se vit… La plupart du temps les personnes qui aiment vraiment la musique ne peuvent vivre sans. La musique pourrait être assimilée à n’importe quel moment de ta vie, au travers de tes émotions, de tes épreuves et on peut souvent y associer une chanson, un passage, une note, une mélodie…

Tristan : Tout à fait ! En même temps ça reste difficile de s’affranchir de tes propres références et de tes référents. On est tous issus d’une société, avec ses codes et ses valeurs… Il y a énormément de groupes qui se revendiquent de telle scène, peu importe, emo, screamo, post-punk ou hardcore ; en plus de cela, tu peux y ajouter tout ton background adolescent. C’est difficile d’être à la fois unique tout en restant soi-même et le paradoxe réside justement en ces points…

Vous avez donc été obligé de faire abstraction de tout votre passif musical, de tout ce qui pouvait vous inspirer pour retrouver votre sens personnel créatif ?

Yoan : Il y a un côté commun à ça ; mais après on s’est très vite compris. Je pense qu’il il y avait déjà ce coté là, de ne pas tricher, dans notre musique, d’être le plus violent et sincère possible. Il y avait déjà un côté jusqu’au-boutiste, mais peut être moins positif que ce qu’on a pu créer grâce à Ross. À l’époque on vivait des choses négatives, mais on revivait ces expériences négatives en restant dans le coté « dépressif de la force » ! (rires) C’est grâce à lui que nous avons pu murir, nous soigner et aider les autres au travers de ce que l’on a donné dans ce disque là. C’est pour cela que c’est tellement fort avec chaque album et chaque groupe qu’il choisit de faire. Il y a quelque chose qui te touche au plus profond de toi même, même si c’est nouveau.

Oui, c’est vrai qu’il est difficile de s’affranchir de son passé et d’arriver à comprendre ce qui nous est arrivé, le gérer et l’assimiler…

Tristan : Pour être honnête, on en a beaucoup parlé, jusqu’à ce qu’on soit dans un état de fragilité, ou en tout cas jusqu’à ce qu’on comprenne quelque chose et qu‘à ce moment-là tu te dises « Hop ! Une barrière a sauté ! » Là il nous disait « OK, on est là où je voulais en arriver, on débranche le cerveau et maintenant tu joues ! ». Yoan parlait du portail, il se trouve que c’est un truc qui fait que tu es quelque part, ton cerveau est quelque part… C’est la transe, tu joues… C’est un peu métaphysique, mais c’est efficace ! (rires)

Ça me fait un peu penser aux techniques de méditation où justement le but n’est pas la focalisation sur une pensée particulière, mais l’ouverture d’esprit au maximum…

Tristan : C’est ce qu’on essaie de reproduire sur scène. On se concentre beaucoup psychologiquement pour ressentir un peu les émotions qu’on a vécues avec Ross. D’ailleurs c’est marrant parce qu’à chaque fois, en tout cas pour moi, que je me mets à penser à ce que je fais, à vraiment en être conscient, genre « Tiens, là je suis sur la scène du Nouveau Casino en train de jouer… », c’est là que je me plante… Lorsque tu es conscient de ce que tu fais, c’est là que tu te plantes. C’est dingue ! (rires) Et vous allez l’entendre ce soir, dès qu’il y a un pain, c’est ça ! (rires)

Parlant de prendre conscience des choses, pourquoi avez-vous choisi d’intituler votre album Amen ?

Yoan : Il y a plusieurs raisons à cela. Pour nous, c’est un mot assez universel, au-delà de la barrière religieuse, un peu catholique… En fait, c’est l’un des premiers morceaux de ce disque et c’est sans conteste l’expérience la plus forte que l’on a vécue en terme de session propre. C’est un morceau à la base dans ce disque qui parle de ce que tu peux ressentir suite à la perte d’une personne qui t’est vraiment proche, auquel tu tiens énormément. Comment tu appréhendes ça et essaies d’y trouver un côté positif, de la voir dans un arc-en-ciel plutôt que de te tuer pour rejoindre la personne. Le but de la préparation mentale au fait d’enregistrer ce morceau était de rappeler les êtres chers au milieu de la pièce. Tous les gens que tu as perdus, notamment la personne dont parle ce morceau, il fallait la rappeler dans la pièce. On a senti quelque chose d’extrême, on a senti sa présence et pour nous ça a été l’expérience la plus marquante. Et d’un autre côté, il y a aussi la phrase « qu’il en soit ainsi » que tu dis après avoir fait ta prière. Tu te rends compte que tu as fait ce qu’il fallait, tu as fait ton devoir et que cette histoire a déjà fait un petit bout de chemin. C’est pour cette résonnance là que ce titre compte pour nous. Après, je pense que le morceau te porte de lui-même, tu la sens cette profondeur, dans ce morceau-là, même si la structure reste simple, c’est vraiment une musique où tout est dans l’âme et dans l’intention. Ça parle du cœur et du ventre, pas de la tête.

Oui effectivement, et l’on ressent d’ailleurs cette mélancolie tout au long de l’album, notamment sur les parties au piano, ou à la batterie qui sont très profondes…

Tristan : C’est mon univers, je n’en connais pas d’autres, pianistiquement parlant je serais incapable de jouer autre chose que ce côté un peu mélancolique. Ce sont des sensations que j’ai beaucoup ressenties étant gamin. J’ai vécu dans la forêt de Fontainebleau et cette vision de la forêt à la tombée de la nuit m’a beaucoup marqué. Il y a un côté un peu flippant, pas dans le sens de la peur, mais parce que tu ne sais pas ce que tu fais là, tu ressens les choses bizarrement, c’est vraiment empreint de mélancolie. Ça te file des pincements au cœur. (Rires) Ce n’était pas du mal-être, je ne savais pas ce qui m’arrivait, notamment le dimanche soir… (rires) Enfin ça, je pense que c’est parce que le lendemain j’allais à l’école ! (rires) Cette sensation est toujours très ancrée en moi, c’est très profond. Je n’ai pas fait le Conservatoire, mais en grandissant je me suis plus retrouvé dans la veine romantique, genre Satie et Chopin. Le côté « devenir le meilleur interprète de tel ou tel artiste » , jouer la note parfaite, avec M.O.P.A. c’est juste tout l’inverse. Nous ne cherchons pas à être parfaits, juste à être nous-mêmes et à être vrais.

Yohan : Il y a un coté très punk ! nous ce que l’on recherche et ce à quoi on attache de l’importance, c’est vraiment le sentiment de vouloir tout donner sur scène. Essayer de rendre quelque chose de mélancolique, de manière très cathartique et très positive. De parler au plus profond des personnes. D’ailleurs, c’est-ce que l’on a pu observé la plupart du temps quand on joue, les gens sont un peu surpris, scotchés, mais surtout touchés. Ils ne vont pas pogotter, avoir des réactions un peu disproportionnées. Ça plonge, parce qu’on joue en faisant un triangle, assis, une espèce de losange avec un cercle d’énergie positive et c’est un instant qui nous grandit. Parfois on a la chance de toucher des personnes de manière assez sincère. C’est chouette ! C’est vraiment ce que l’on souhaite.

Tristan : L’auditeur s’identifie à toi, parce que tu es vrai, donc il ne se sent pas biaisé. La barrière disparaît, tu sens que le mec qui joue est humain, tu sens qu’il a des faiblesses, et du coup ça fait écho avec toi-même et c’est là qu’il se passe des choses. Alors même si ça peut paraître froid de jouer de profil, on n’est pas en train d’alpaguer la foule avec tous les codes qui vont bien. On essaie en tout cas de mettre des choses de côté au profit de la musique.

Comme pour le piano, au niveau de la batterie, chaque frappe prend une tout autre dimension, une ampleur plus conséquente et plus les morceaux avancent, plus la dimension explose…

Yohan : Je cherche vraiment la transe dans l’intention et j’aime me faire porter par quelque chose, c’est vraiment ce qu’on expliquait tout à l’heure. Je ne veux pas réfléchir en jouant, je ne veux pas penser, à mon rat, à mon solo à tel endroit, ça sort et je tape fort parce que je vis quelque chose de très fort. Ça m’arrive souvent de me péter les doigts sur scène, de saigner, mais de m’en moquer, ou encore de faire tomber du matos et de ne pas m’en rendre compte. Ce n’est pas le but de la démarche, c’est vraiment donner tout, tout ce que t’as ! Après ça peut faire référence à des trucs un peu free, à des cultures animales, mais pour moi c’est la base du rythme, c’est comme ça que ça doit être exprimé, et pas dans le côté progressif du terme. Je veux retrouver le côté animal du rythme. Je fais aussi de la peinture à côté, je cherche en fait les gens derrière les artistes, et si je ne sens personne, si je sens juste une référence à quelqu’un que je connais, ça ne m’intéresse pas. Ça ne me parle pas. Ce qui m’inspire plus, c’est les mecs qui ont leur propre univers parce qu’ils sont eux-mêmes. Ça peut être un réalisateur de ciné, comme un musicien, comme un peintre, comme un batteur. Je fais juste attention à ne pas faire attention.

Votre reprise de My Girl de Leadbelly, également reprise par le groupe culte grunge Nirvana, est sortie il y a quelque temps, pourquoi avez-vous choisi de reprendre ce morceau en particulier ?

Yohan : C’est un vieux standard de blues, on ne savait pas vraiment par qui ça avait été composé à la base, c’est un mec dans les champs de coton qui a fait ça, parce que ça lui parlait à l’époque et c’est un mec qui faisait de la country qui se l’est approprié. Du coup, il y a plusieurs références, le fait que le texte correspondait énormément à nos vies à l’époque, notamment à des déboires sentimentaux, comme on peut l’imaginer… Quelque part il y avait aussi le coté « faire référence à Nirvana », parce qu’on a été très touchés étant jeunes. C’est un peu notre génération et justement ce mec faisait sauter toutes les barrières, parce qu’il était lui-même, avec des morceaux très simples, et une intention très punk, bien au-delà de tous les excès de la drogue, c’était quelqu’un à fleur de peau, de très sensible et fragile, c’est une sorte d’hommage à ce mec. Enfin, il y a le côté standard de blues, remixé au piano, de manière un peu classique, ça nous parlait beaucoup… Tout concordait, même si on ne l’a pas cherché au départ, cela a créé un point de référence pour des personnes qui entendent un concept très fort pour la première fois, et arrivent sur un morceau qui est déjà connu. Du coup ça fait un petit repère. C’est marrant parce que cette reprise-là a été un véritable déclic ! On a répété avec Ross dans la pièce pendant une semaine et demie, à chercher justement tout ce dont on parle aujourd’hui, et ce morceau-là a été le déclic pour passer à l’enregistrement propre. Quelque chose s’est passé dans la pièce quand on a répété et c’était tellement vécu qu’il s’est dit « c’est prêt, on peut appuyer sur rec. et coucher ça sur bande ! ». (rires)

Dans Page of Dictionnary, vous dites : « So let’s stop, so let’s stop this shit ! You’re not the tough guy you think you are. You’re a tiny, tiny boy. ». À qui cette chanson est-elle destinée ?

Tristan : (rires) C’est l’une des toutes premières chansons qui ait été écrite, par Milka, le chanteur. Ça s’adresse aux membres du milieu « très fermé » du hardcore, avec tous leurs codes, genre : « Si tu fais pas du 2step à tel moment, t’es pas in du tout, si tu fais pas le Circle Pit à tel moment ça craint ! ». Ça faisait parti du cahier des charges à l’époque de jeter un pavé dans la marre dans ce milieu du hardcore/screamo… (rires) Ça s’adresse à eux.

Yohan : Aux débuts de My Own Private Alaska, on avait vraiment une volonté de faire péter des codes, de montrer qu’on pouvait exprimer une violence beaucoup plus extrême que des groupes qui se disent extrêmes, parce que justement ils se cachent derrière un personnage, fort, avec des gros tatouages, des déguisements en fait ! Lors de l’enregistrement de cet album, on s’est rendu compte que si on voulait exprimer quelque chose de violent, il fallait le faire dans le sens premier du terme, avec une intention violente, déjà pour toi. Et si tu ne ressens pas ça, si tu fais simplement ta technique d’aller-retour sur ta gratte, pour nous ça ne va pas plus loin que Chantal Goya ! (rires) Quoi qu’en y repensant Chantal Goya a touché beaucoup de jeunes enfants et a un coté beaucoup plus touchant que beaucoup de groupes de Black Métal.

Tristan : La référence ! (rires) Chantal Goya et le Black Métal… Je n’aurais jamais pensé les associer un jour… (rires)

Yohan : Ce morceau est une leçon, mais également un rappel pour nous-mêmes, parce que parfois tu serais tenté de faire le mec « Ouais, moi c’est bon ça va, c’est cool. Je suis fort ! » et en fait pas du tout. On a tous nos faiblesses, des expériences assez extrêmes qui nous ont rendus vulnérables et c’est ça qui fait la richesse d‘une personne.

Et à propos de la chanson After You, comment en êtes-vous arrivés à écrire de telles paroles ? (Milka rejoint l’interview, NDLR)

Milka : After You a été composée en vitesse dans une chambre d’hôtel ! (rires) Le premier truc qui a été créé sur After You c’est la mélodie de chant du couplet. Ça a été écrit dans une chambre d’hôtel très tard, sur la tournée de Psykup en 2008 et j’ai demandé aux autres si on pouvait broder un truc autour parce que moi j’avais pleins de trucs à dire autour de cette mélodie, ça me parlait beaucoup. Par rapport à d’habitude où c’est Tristan qui trouve les bases mélodiques au piano, là le refrain a été chanté par Yohan, qui avait des trucs qui lui raisonnaient dans la tête sur le refrain. Tristan du coup a traduit nos idées concrètement au piano et il a composé le reste du morceau. C’est l’un des morceaux les plus accessibles, les plus collégial, où la construction a été la plus originale en tout cas.

Yohan : Pour nous ça a caractérisé le début d’un effort, même si on met toujours toute notre âme et toute notre patte. Il y a ce côté effort de groupe où l’on bosse tous dans un même sens, où l’on a des idées pour tout le monde en gardant une formule assez simple, parce que c’est l’un des morceaux les plus faciles à jouer, les plus accessibles à écouter. Cependant, il y a quand même quelque chose qui se passe en terme de violence et d’intention, ne serait-ce que dans l’expression de cette musique et l’écriture de ces textes.

Milka : Le clip d’After You résume un petit peu ce que résume la chanson, avec des personnes qui sous couverts de très beaux apparats et qui cachent des choses assez tordues et indicibles. À l’inverse, il y a nous qui portons sur nous toute cette crasse, et nous nous en débarrassons au fur et à mesure que l’on joue le morceau. C’était un moment de ma vie où je faisais des mauvais choix pour l’intégrité de ma santé, physique ou psychologique, j’écrivais des morceaux en choisissant cette voie-là… Lâcher tout dans la musique et écrire des textes par rapport à des expériences pas super heureuses. Parfois on a envie d’effacer de sa mémoire certains pans de sa vie comme on efface quand on glisse à la corbeille des dossiers sur un ordinateur, sauf que voilà, je n’ai toujours pas trouvé le glisser/déposer dans mon cerveau. (rires)

Vos vidéos sont toujours très travaillées, vous avez d’ailleurs travaillé avec Benjamin Capelleti, et votre musique ne s’en retrouve que renforcée. Quelque part cela se rapproche assez de la musique de cinéma, comme la chanson Broken Army où l’on s’imagine des soldats courant, évitant les bombes, puis leur destin lié à l’utilisation de leurs armes… En quoi le cinéma est important pour vous ?

Yohan : Le rapport de Broken Army avec du cinéma, c’est que t’as un coté premier qui est le regard sur la guerre, parce que c’est vrai que nous en tant que jeunes Français, nous n’avons vécu la guerre depuis 50-60 ans, on ne l’a donc pas vécue de manière directe. Après pour rester sur le morceau, on a tous des grands-parents qui l’ont fait, on a des personnes autour de nous qui ont vécu la guerre en ex-Yougoslavie. On ne le dit jamais assez, on arrive jamais à le décrire de manière aussi dégueulasse que ça se passe, mais c’est vrai que quand tu vois toute ta famille se faire tuer du jour au lendemain, par des voisins proches, tu ne peux pas ressortir indemne de ce genre d’expérience. Il y avait aussi une réflexion sur les choix, les choix que tu fais par rapport à ce genre de situations, est-ce qu’il vaut mieux tuer ton voisin pour te venger, fuir, ou te tuer toi-même… C’est à la fois extrême et absurde au final. Quand tu as un peu de recul sur l’origine des conflits et ce que ça a apporté dans l’avancement des vies, c’est ridicule et vain.

Milka : Ce que l’on peut noter aussi, c’est qu’il y a eu beaucoup plus de Jean Moulin de 20 ans après la guerre qu’en 44… C’est beaucoup plus facile de se dire résistant et investi avec le recul des années. On est beaucoup plus sur le sens que sur la musicalité. C’est le sens après qui a donné l’interprétation de Broken Army sur le CD, il y avait vraiment ce côté de l’investissement, si ça arrivait demain, qu’est-ce qu’on serait à même de faire ? C’est dur de se projeter, et moi par une certaine honnêteté, par rapport à ma fragilité ou à tout simplement à mes faiblesses, je ne sais pas si je résisterais, je ne sais pas si je ferais ce que certains de nos aïeux ont fait, et qu’on respecte. Je crois qu’il y a très peu de gens qui feraient ces choix-là aujourd’hui tellement aujourd’hui nos vies sont confortables.

Yohan : Pour en revenir au cinéma, les choses qui nous marquent, c’est comme dans l’art en général, c’est ce qui peut nous toucher chez un peintre, un réalisateur, n’importe quoi… C’est sentir l’humain, un personnage d’unique et sincère, qu’on ait des personnes devant nous qui nous proposent des choses qui leur ressemblent. Il y a des films qui nous on parlé pour essayer de définir notre musique. À travers le titre, il y a My Own Private Idaho, de Gus Van Sant, avec une histoire très forte, extrême, un peu folle.

Il y a aussi Insomnia, où tu as la fameuse réplique du personnage femme qui dit « En Alaska, il y a les natifs, et il y a ceux qui y vivent pour fuir un ailleurs. ». Nous on est dans cette seconde catégorie de personne. À la base de ce groupe, on voulait à tout pris revenir sur quelque chose de pur et de sincère pour respirer. C’est reprendre la métaphore du verre d’eau par rapport à toute la bière qu’on nous propose. Mais après on a eu des déclics aussi qui nous on fait marré, c’est-à-dire qu’on a fait le groupe et la définition du concept avant qu’Into the Wild ne sorte, et quand on est allé voir ce film on s’est pris une énorme baffe, parce que c’était tout ce qu’on cherchait à représenter, c’était le détachement premier et la fuite vers quelque chose de pur. Les personnes sincères peuvent néanmoins nous apporter énormément

Êtes-vous déjà en train de travailler sur un nouveau clip ?

Tristan : Oui, on bosse sur un clip d’Amen. Ça, c’est en théorie. Après quand ? Comment ? Ce sont les grandes questions. On a en ce moment l’esprit sur les tournées et tout un tas d’autres choses. On ne sait pas encore comment ça va se matérialiser, mais ne serait-ce qu’en termes de thème visuel et graphique, comme on pouvait avoir avec After You, le pétrole, la fille et le jeu de vases communicants entre le groupe et la fiction… On ne sait pas trop, mais oui, ce sera Amen ! Ça collerait aussi bien à la télé ! (rires) On ne sait pas si on aura des lectures au premier degré de ce qu’on fait, de ce qu’on dit… Pour l’instant on ne peut pas parler de choses concrètes, car la plupart du temps, les choses ne se réalisent jamais comme tu les as imaginées. Ça dépendra d’avec qui on bossera, de notre budget, etc.

Est-ce qu’il vous reste des souvenirs marquants de vos débuts ?

Yohan : On n’a que ça ! À vrai dire, on est encore dans un « début », on est sur un premier album, on n’arrête pas de découvrir des pays différents, des modes de vie différents, des oreilles et des cultures différentes, qui t’aident à vivre quelque chose de différent par rapport à toi-même. Quand on a commencé cette tournée, on a commencé dans les pays de l’Est. On a traversé des pays très pauvres où tu vois des gamins qui jouent avec des bouteilles en plastique dans des champs de boue, tu vois des charrettes passer, des gens qui vendent des verres d’eau, de la prostitution avec des filles que tu vois dans les magazines chez toi tellement elles sont magnifiques, et en même temps tu vois des personnes vachement chaleureuses qui donnent beaucoup plus que ce qu’elles ont. C’est vraiment l’application du proverbe : « Moins t’en as, plus tu donnes ». Les mecs voulaient nous donner leur maison, leur nourriture, tout, tout ce qu’ils avaient ils voulaient nous le donner. Ce ne sont pas des situations que tu vis dans des pays plus confortables, ne serait-ce que chez nous. On a tendance à beaucoup se plaindre de tout ce qu’on a, alors qu’on a énormément de structures, de salles, une situation de confort presque absurde par rapport à ce que ces personnes-là vivent, et c’est vrai que ça nous a réveillés, et on conseille à tous les groupes qui en ont la possibilité d’y aller et de voir vraiment comment ça se passe. On est content d’en être sorti, humainement parlant.

On sait que vous aimez beaucoup GlassJaw, ils viennent justement au Nouveau Casino en août prochain, vous serez là ?

Tristan & Milka : Non sérieusement ? Bah écoutes ouais carrément !

Yohan : Nous on a eu échos de GlassJaw, parce que c’est l’une des expériences les plus marquantes qu’a vécu Ross, en terme d’enregistrement, parce que c’est ce qui leur a permis de sortir de toutes ces espèces de hype new métal et de proposer quelque chose de fou et de nouveau. Après il a été très touché par le chanteur parce que c’est quelqu’un qui a beaucoup de problèmes physiques et qui n’a pas eu d’expérience sexuelle avant d’enregistrer son chant, et du coup il avait une énergie et une intention bien au-delà de ce que toute personne aurait pu donner. Toute la frustration par rapport à ses problèmes physiques et mentaux et apparemment aujourd’hui, il se serait un peu perdu dans des comportements destructeurs. À l’époque, leurs albums nous ont beaucoup parlés, beaucoup touchés, mais est-ce que ça nous parlera encore aujourd’hui par rapport à ce qu’ils sont devenus ? Est-ce qu’ils ont su conserver le message et la leçon qu’est de faire un album avec Ross Robinson ?

Tristan : Ouais, mais je pense que si c’est joué avec un petit peu de sincérité et d’authenticité, la musique fera le reste.

Un petit mot à nous dire avant que l’on se quitte ?

Yohan : On veut remercier les personnes qui font l’effort de soutenir la musique, de la soutenir en venant à des concerts, c’est aujourd’hui facile de télécharger de la musique, d’être dans son lit derrière son PC. Nous en fait, on a cette volonté-là avec cet album de zapper beaucoup d’intermédiaires et du coup de proposer un double vinyle avec CD / DVD de deux heures, à une vingtaine d’euros, justement pour faire des cadeaux aux personnes qui font encore l’effort de soutenir des groupes.


Par C. R.

Remerciements : Phil A., Tristan, Yohan, Milka, N.

Pictures : All Right Reserved Phil Abdou.

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